Je suis avocat et mon ID est le 63156.
"J'appelle Monsieur Vigin à la barre. Monsieur Vigin, bonjour. Pouvez-vous vous présenter devant le tribunal ?
- Oui, bonjour. Je m'appelle Raoul Vigin, je suis propriétaire du terrain voisin au camping de Monsieur Toileturka.
Comment connaissez-vous Monsieur Decheval, aujourd'hui prévenu ?
- Je le croise régulièrement depuis qu'il est au camping. Il y a plus de vingt ans qu'il fréquente ce camping, depuis qu'il a ouvert en somme. Au départ, il venait en famille passer ses vacances. Je m'en rappelle bien. Ils étaient toujours installés sur le même emplacement, situé juste en contrebas de mon jardin.
Aviez-vous des relations privilégiées avec Monsieur Decheval ?
- Non, pas particulièrement. Seulement, lorsque le camping a ouvert, c'était l'époque où je m'installais aussi dans le quartier. Nous étions tout nouveau, ma femme, mon fils et moi. Nous ne connaissions personne. Et durant cet été-là, mon fils a fortement sympathisé avec le fils de Monsieur Decheval, ce qui nous a amené à discuter quelquefois ensemble. Des relations cordiales, même si nous avons toujours gardé nos distances l'un vis-à-vis de l'autre.
Pourquoi vous aviez cette distance ?
- Il n'y a pas de raison particulière. Nous n'avions pas forcément les mêmes passions, les mêmes sujets de conversation. Mais, comme je vous l'ai dit, nos conversations étaient toutefois vraiment cordiales.
Si vous discutez régulièrement avec Monsieur Decheval, pouvez-vous nous dire comment est-il arrivé à rester dans le camping de manière régulière ?
- Sa situation n'est vraiment pas enviable. Sa femme a eu, il y a plusieurs années, des soucis avec l'alcool. D'après ce que m'a dit mon fils, elle a également été condamnée pour trafic de stupéfiants. Sa dépendance l'a amenée à tout dilapider l'argent du foyer. Elle ne voulait pas, par ailleurs, se faire soigner. A bout, Monsieur Decheval a donc demandé le divorce car il ne pouvait plus supporter son comportement.
Et comment se fait-il qu'il soit arrivé dans le camping ?
- Et bien, les dettes laissées par sa femme, toujours d'après mon fils qui est resté meilleur ami avec leur fils, ont obligé leurs créanciers à demander la vente de tous leurs biens, y compris la maison. Vous pensez bien qu'ici dans le camping, l'été suivant, tout le monde en parlait. Arrivé aux oreilles du directeur du camping Monsieur Toileturka, celui-ci a contacté Monsieur Decheval pour lui proposer de venir gratuitement sur son terrain de camping le temps qu'il voudra.
Comment savez-vous ces propos ?
- Et bien, c'est arrivé il y a maintenant quelques mois. Il faisait très beau et très chaud ce jour-là. J'étais en bas de mon jardin à tailler mes roses. Et justement j'ai entendu une conversation entre les deux hommes. J'ai bien reconnu le directeur à sa voix roque. Et puis, j'ai bien reconnu la voix de Monsieur Decheval. Et puis, toutes les histoires que j'avais entendu m'ont conduit à tendre l'oreille davantage. Et là j'ai bien entendu les propos de Monsieur Toileturka : "Raoul, tu sais que le camping t'est tout ouvert. Vu ta fidélité depuis toutes ces années, tout pourra rester ici tout le temps qu'il te faudra !"
D'accord, et d'après vous, leurs relations se sont détériorées depuis ?
- S'ils se tutoyaient, tout le monde a été étonné de la tournure des événements. Monsieur Toileturka a sans doute eu une pression intense de la part de ses clients. Voir un "sale pauvre" dans ce camping réputé, ce n'était sans doute pas le meilleur moyen d'obtenir sa quatrième étoile. Je dis cela car c'est ce qui se dit dans le quartier. Monsieur Toileturka, que j'apprécie fort bien mais là n'est pas la question, aime sa notoriété avant tout. Alors s'il est gentil avec tous au premier abord, il peut revenir sur ces engagements premiers pour ne pas nuire à sa réputation. C'est sans doute ce que n'a pas compris Monsieur Decheval lorsque Monsieur Toileturka lui a demandé de partir !
- Pour lui a-t-il demandé de quitter les lieux ?
Parce que le maire a pris un arrêté contre les déchets, et sanctionnent tous les propriétaires de lieux recevant du public qui ne respecteraient pas les normes de salubrité. Or, Monsieur Toileturka, toujours avide de notoriété souhaiterait se présenter aux prochaines municipales avec le maire actuel, voire pour prendre sa suite. Du coup, il a rompu le contrat qu'il avait conclu avec Monsieur Decheval pour lui demander de partir sur-le-champs alors qu'il lui avait précédemment dit qu'il pouvait rester vivre tranquillement sur les lieux. Et paralèllement, cet arrêté l'arrangeait bien : la demande pressante des clients dans le camping de virer " le sale pauvre" commençait à vider les allées du camping.
- Pourquoi Monsieur Decheval laissait ses détritus sur son terrain ?
En fait, Monsieur Decheval avait conclu avec Monsieur Toileturka un marché. Alors que l'un le laissait vivre dans son mobil-home tout à fait tranquillement, l'autre devait accomplir toutes tâches quotidiennes non rémunérées dans le camping. Et ce, dans la plus grande discrétion. Car Monsieur le directeur ne voulait surtout pas nuire à sa réputation.
- Et comment expliquez-vous l'attitude des employés du camping ?
Face à l'injonction de Monsieur le directeur, les employés ont tout mis en oeuvre pour nettoyer le camping, suite à l'arrêté municipal. Les employés, se hurtant à l'opposition (que l'on peut sans comprendre vu sa situation) de Monsieur Decheval de nettoyer son terrain, ont voulu constituer des preuves en faveur du directeur avec les photos, qu'ils ont prises sur mon terrain.
C'est Monsieur Toileturka qui avait demandé à ce que ces photos soient faites ?
- Non. Je pense pas. Je pense vraiment que le directeur a été surpris de ce moyen de preuve là. D'un côté, il avait pas oublié son engagement envers Monsieur Decheval. De l'autre, il y avait une preuve. Et pour sa notoriété, ce n'était pas bon du tout. Ducoup, il ne pouvait s'opposer à l'injonction du maire...
Autre question, les photos ont bien été prises de votre terrain ?
- Oui, je reconnais bien cet angle de vue. Le terrain de Monsieur Decheval était juste situé en contrebas de mon terrain.
Vous ne vous êtes pas opposé à l'intervention des deux employés sur votre terrain ?
- J'étais absent le jour où ces photos ont été prises. Et aucune autorisation de venir sur ma propriété ne m'a été demandée. Pour la violation de domicile, j'ai d'ailleurs porté plainte contre les deux employés. Non seulement les photos, mais aussi leurs déclarations à la police, montrent leurs agissements et je demande réparation de mon préjudice.
Revenons sur les détritus, pourquoi ont-ils été stationné sur le terrain de Monsieur Decheval ?
- Monsieur Decheval m'avait expliqué que les objets correspondaient aux travaux qu'ils devaient entreprendre pour Monsieur Toileturka. Mais ce matériel ne pouvait rester dans le local des employés du camping car il fallait continuer à cacher ce travail dissimulé. C'est sans doute pour cela qu'il n'a pas voulu en dire davantage sur la nature de ces détritus. Car il voulait qu'on épargne Monsieur Toileturka, qui lui permet d'avoir un toit quand même !!!
En conclusion, pensez-vous Monsieur Decheval coupable ?
- L'arrêté pris par le maire fait des ravages dans toute la ville. Il intimide tout le monde, même les grosses têtes ! Voyez Monsieur Toileturka jusqu'à où il a pu arriver pour traïr presque un ami ! Je me demande si c'est vraiment légal de faire appliquer un arrêté dans un camping ?! Ayant eu mon deug de droit, même si je n'ai pas continuer ensuite, je me souviens bien que le droit de propriété était un droit fondamental de l'homme !!! Comment un maire peut-il soumettre le propriétaire d'un camping à de telles injonctions ! Je pense que Monsieur Toileturka, s'il pensait moins à sa notoriété qu'à penser au bien public (ce qui serait sans doute mieux vu pour les prochaines élections) aurait du saisir le tribunal administratif pour annuler cet arrêté ! Même si c'était contre le maire, celui-ci n'aurait sans doute pas été réélu... Et il aurait pu, sans souci, être notre prochain maire (...)
Pardon de vous couper Monsieur Vigin. Vous avez répondu à toutes mes questions. Je vous remercie. Je rends la parole au tribunal."
